Godzilla Minus One

Godzilla Minus One – La critique d’un travail « Minus Cieux »

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En 2014 est sorti le pire Godzilla de l’histoire. Un film tellement mauvais que même la mouture 1998, décriée à juste titre, en devenait un petit larcin sans gravité. Or… Tout comme Godzilla Final Wars de Kitamura venait répondre à la crotte de Roland Emmerich, il n’a pas fallu longtemps au japon pour rétorquer à ce nouvel affront, avec Shin Godzilla, un film chorale époustouflant au rythme ininterrompu. Succès colossal dans l’archipel, mais sorties très timides dans le reste du monde… Les Américains en ont donc profité pour pondre des suites à tire larigot Godzilla II et Godzilla vs Kong. Il est donc grand temps de déterrer la hache de guerre et de montrer qui est le patron. On demande donc à Takashi Yamazaki, déjà à la barre de gros films d’action comme Returner ou Space Battleship Yamato, de mener ce projet à bien.

L’histoire : Le Japon se remet à grand peine de la Seconde Guerre mondiale qu’un péril gigantesque émerge au large de Tokyo. Koichi, un kamikaze déserteur traumatisé par sa première confrontation avec Godzilla, voit là l’occasion de racheter sa conduite pendant la guerre.

Notre avis : Takashi Yamazaki va avoir la malice, ou tout du moins la présence d’esprit, de ne pas du tout se frotter à Shin Godzilla. Son film sera un film d’époque, réexplorant ou se réappropriant les origines du monstre sacré. En cela le film est un franc succès, car il parvient à restituer les thèmes majeurs de l’œuvre de base en les amenant à une audience moderne. Un pays à genoux se relevant du spectre de la guerre et de la destruction, l’arme atomique face à laquelle on ne peut rien, la valeur de l’individu… Autant de thèmes qui viennent retrouver une seconde jeunesse. Le film en devient l’égal de l’avion-star de son climax : unique en son genre car à la fois futuriste et farouchement ancré dans le passé. Un choix méticuleusement suivi par le compositeur Naoki Satô qui vous enverra autant de vagues de nostalgie que d’effroi !

Le Kyūshū J7W Shinden est un chasseur expérimental japonais construit à deux exemplaires en 1944 et 1945 © Toho
Le Kyūshū J7W Shinden est un chasseur expérimental japonais construit à deux exemplaires en 1944 et 1945 © Toho

Kaijū eiga.

Revers de la médaille : cela occasionne une sorte de clash. En se situant entre modernité et passéisme, Godzilla Minus One semble hésiter, danser autour du pot comme s’il ne se prononçait pas tout à fait quant à son identité… Il y a des segments à couper le souffle qui se terminent par un élément invraisemblable ou pas vraiment préparé. Le spectateur moderne, le plus souvent, rejettera ce genre de traits de scénario. Les trouvera forcés et pas émouvants.

© Toho
© Toho

ゴジラ, Gojira

Le film cherchait un équilibre trop délicat pour se maintenir sur le fil. Il demeure un spectacle gigantesque, bien supérieur à tout ce qu’ont pu pondre les américains, et digne d’être dûment récompensé, mais il y a fort à parier que Takashi Yamazaki aurait gagné à pousser plus en avant les curseurs de ce regard qu’il porte vers le passé, et ainsi assumer ses choix les plus discutables…

Le réalisateur Takashi Yamazaki cite Godzilla, Mothra & King Ghidorah (2001), réalisé par Shûsuke Kaneko, comme étant son Godzilla préféré © Toho
Le réalisateur Takashi Yamazaki cite Godzilla, Mothra & King Ghidorah (2001), réalisé par Shûsuke Kaneko, comme étant son Godzilla préféré © Toho

Quelques mois plus tard, la réponse est donnée : le film ressort dans une version en noir et blanc absolument somptueuse. Après la folle mode des années 90 qui consista a coloriser inutilement des chef-d ‘œuvres du noir et blanc, voici la marotte du cinéma de ce siècle : faire des films en couleur et les passer en noir et blanc. Dans les meilleurs des cas cela nous donne des expériences intéressantes (la version « Black and Chrome » des deux derniers Mad Max, ou Nightmare Alley) mais dans la plupart des cas, c’est reçu comme un gadget inutile et oubliable ( The Mist, Parasite, Logan… ) Takashi Yamazaki et son chef opérateur Kôzô Shibasaki se sont enfermés de nombreuses heures pour étalonner le film, mettre en évidence les échelles de gris afin de parvenir à diriger le regard du spectateur et livrer Godzilla Minus One / Minus Color.

Le nom du protagoniste, Shikishima, coïncide avec celui d'un escadron qui a mené la première attaque kamikaze réussie. L'« escadron Shikishima », dirigé par le lieutenant Yukio Seki, a coulé l'USS St. Lo en 1944 © Toho
Le nom du protagoniste, Shikishima, coïncide avec celui d’un escadron qui a mené la première attaque kamikaze réussie. L’« escadron Shikishima », dirigé par le lieutenant Yukio Seki, a coulé l’USS St. Lo en 1944 © Toho

Le film trouve là sa forme la plus probante, l’immersion émotionnelle est accrue, l’alchimie du neuf et du vieux trouve son parfait point d’équilibre. On a affaire à un cinéma total, débarrassé de ses fards modernes, concentré sur le plaisir pur de retrouver ce monstre septuagénaire toujours aussi puissant. Un spectacle absolu, une expérience hors du temps aux frissons garantis. Même les fameux éléments narratifs qui constituaient un impair dans la version couleur semblent être mieux assumés, intégrés dans l’ensemble comme si ces choix s’avéraient accompagner une pensée plus vaste et plus importante. Je ne pourrai plus voir le film que dans cette version.

Avec un score initial de 100 % sur Rotten Tomatoes, les critiques américaines ont été globalement très positives, même si certains ont regretté le peu de temps d’écran accordé à Godzilla. Lorsque la première critique négative a été publiée, Yamazaki s’est contenté de Twitter : « Enfin (lol) »

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