Midnight Run – La critique de l’élégance même du buddy movie

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Le buddy movie des années 80 : un âge d’or. L’Arme fatale, 48 heures, Double détente… Les eighties ont façonné un genre codifié, trop souvent vidé de sa substance par des héritiers contemporains paresseux. Mais à l’époque, entre le début et la fin de la décennie, ce cinéma était un véritable terrain d’expérimentation jubilatoire, où action et humour se mariaient avec une fraîcheur inédite. Parmi ces pépites de vidéoclub qui ont marqué l’imaginaire des cinéphiles, Midnight Run (1988) de Martin Brest occupe une place à part : moins « bourrin » que ses concurrents, subtil, élégant, et peut-être — osons le dire — l’un des sommets du genre ! L’auteur de ces lignes a d’ailleurs eu le plaisir de faire découvrir ce bonbon d’enfance à un membre de sa famille qu’il n’est nul besoin de nommer, tant il se reconnaîtra spontanément à la lecture. Un clin d’œil complice, qui rappelle combien le cinéma se nourrit aussi d’attachements sentimentaux. Depuis, le visionnage en duo de Midnight Run est devenu un rituel, un passage obligé, un rendez-vous immanquable inscrit au panthéon personnel.

L’histoire : Jack Walsh, flic intègre, a quitté la police parce qu’il refusait de se laisser acheter par un caïd de la drogue. Il est maintenant chasseur de primes pour le compte d’Eddie Moscone à Los Angeles et doit retrouver le comptable qui a réussi à escroquer le fameux caïd.

Notre avis : Martin Brest, artisan rare, avait déjà officié dans le genre du buddy movie sur Beverly Hills Cop en 1984, succès planétaire qui portait déjà sa signature : un sens du rythme comique précis, doublé d’une direction d’acteurs minutieuse. Mais avec Midnight Run, le bonhomme affine cette formule jusqu’au divin. Le film conjugue efficacité hollywoodienne et attention rare à la psychologie des personnages. Brest, cinéaste discret, prouve qu’il est autant à l’aise dans l’orfèvrerie de la mise en scène que dans l’équilibre fragile entre mélancolie et éclats de comédie. De Niro et Grodin deviennent sous sa caméra un duo irrésistible. Difficile, même, d’imaginer meilleure alchimie que celle de De Niro et Grodin ! À l’époque, De Niro sortait de rôles intenses (Angel Heart, Les Incorruptibles) et s’offrait ici une parenthèse comique. Mais loin des comédies mineures qui jalonneront sa carrière ultérieure, il trouve dans Jack Walsh un personnage complexe : chasseur de primes solitaire et incorruptible (c’est un basculement au regard du rôle que lui offrait juste avant De Palma), pétri de contradictions, oscillant entre cynisme et fêlures intimes. Face à lui, Charles Grodin campe Jonathan Mardukas, comptable en cavale, alliant malice et fragilité dans un contrepoint idéal à la rudesse de De Niro. Leur duo, oscillant sans cesse entre confrontation et complicité, constitue le véritable cœur du film. Une leçon de comédie, fine et jubilatoire.

Enchainement de scènes cultes parmi les scènes cultes : John Ashton a révélé que De Niro, emporté par l’intensité, l’avait réellement frappé lors de la bagarre dans le train !
© Universal
Enchainement de scènes cultes parmi les scènes cultes : John Ashton a révélé que De Niro, emporté par l’intensité, l’avait réellement frappé lors de la bagarre dans le train !
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Des dialogues et une écriture au cordeau !

Le scénario de George Gallo, infiniment plus inspiré qu’il ne le sera dans les décennies suivantes, offre un matériau riche : des dialogues drôles, acérés, mais aussi des silences lourds de sens. Certaines scènes, comme la rencontre entre Jack et sa fille, dépassent le cadre du buddy movie pour atteindre une intensité dramatique inattendue. La sincérité de cette scène — comme de tant d’autres —, Brest la fait naître sans jamais appuyer le trait, rappelant qu’une comédie peut aussi s’épanouir dans une authentique mélancolie. Aussi juste soit-elle, la mélancolie ne suffit pas : priver un buddy movie de son carburant premier – l’action – serait tout simplement une hérésie. A cet égard, le spectacle dépasse toutes les attentes ! Car, dans Midnight Run, la mécanique du spectaculaire s’intègre parfaitement au rythme général. Courses-poursuites, fusillades et coups de théâtre sont filmés avec énergie, mais sans gratuité. L’expression « film mené pied au plancher » prend ici tout son sens, sans jamais sacrifier la profondeur des personnages. Walsh est sans doute l’un des héros les plus solitaires du genre, et chaque scène d’action, loin d’être un simple prétexte, souligne d’abord son isolement, puis sa lente transformation au contact de Mardukas. S’ajoute à cela une partition inattendue… La musique de Danny Elfman, alors en pleine ascension, surprend par sa couleur bluesy, ponctuée de guitares lancinantes. Loin des orchestrations emphatiques auxquelles Hollywood nous habituait par moment, sa composition épouse le ton singulier du film : drôle, tendre, et parfois profondément mélancolique. C’est sans doute l’un de ses travaux les plus injustement méconnus.

Charles Grodin vouait une véritable affection au film : il affirmait que le scénario était le meilleur qu’il ait jamais lu
© Universal
Charles Grodin vouait une véritable affection au film : il affirmait que le scénario était le meilleur qu’il ait jamais lu
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Midnight Run – Ou le classique discret !

N’hésitons pas à le rappeler… Au-delà du plaisir immédiat qu’il procure, Midnight Run se distingue par sa cohérence interne : chaque gag, chaque scène d’action, chaque silence contribue à une même logique, celle d’un récit qui se concentre sur la relation entre ses deux personnages (n’oublions tout de même pas l’énergie hallucinante des séquences qui convoquent le reste d’un casting quatre étoiles, au sommet duquel trônent également John Ashton et Denis Farina). Le dernier plan, à la fois amusant et bouleversant, condense cette ambition. Loin des clichés du genre, Brest signe une œuvre qui allie efficacité et émotion, tout en démontrant que le buddy movie pouvait être autre chose qu’un simple divertissement d’accompagnement pour les soirées bières et pizzas ! Revoir Midnight Run aujourd’hui, c’est redécouvrir la finesse d’un genre trop souvent réduit à ses tics. C’est aussi retrouver un Robert De Niro dans une forme comique idéale – pour ne pas dire parfaite -, et constater le talent immense de Charles Grodin, acteur trop discret, trop sous-estimé et qui manque terriblement au cinéma. C’est enfin rappeler l’importance de Martin Brest, cinéaste rare dont chaque film, de Le Temps d’un week-end à Un fauteuil pour deux, mérite d’être réévalué. Encore aujourd’hui, Midnight Run impose sa classe : une leçon d’écriture et de sensibilité au sein d’un genre trop souvent caricaturé comme bruyant, alors qu’il n’est que profondément cinématographique.

Midnight Run (affiche)

Un film bâti sur des récurrences de petits détails… qui accouchent de grandes idées. L’habitude de Jack Walsh (Robert De Niro) de consulter sans cesse sa montre — et toute l’histoire qui s’y rattache — vient entièrement de De Niro lui-même
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