Remake du classique Jin-Roh, la brigade des loups, Illang: la brigade des loups est avant tout un maillon développant l’univers passionnant de l’un des plus emblématiques metteurs en scène venus de Corée du Sud.
L’histoire : En 2029, une unité spéciale de la police sud-coréenne, surnommée Illang, fait face à un groupe de terroristes qui menace de détruire des années de travail pour rapprocher les deux Corées.
Notre avis : En quelques films, Kim Jee-Woon est devenu l’un des incontournables du cinéma sud-coréen contemporain. Une dizaine de films auront suffit au papa de l’excellent A Bittersweet Life pour être propulsé aux USA et y diriger le grisant Le dernier rempart, avec un « Schwarzy » de retour au film d’action après des années d’absence. De l’avis du principal intéressé, cette expérience symbolisait un voyage à double sens, un regard tourné vers le passé (le western et ses codes) et un autre vers le futur à grand renfort de prise de vue en Arri Alexa Plus – le fleuron de la captation numérique. Comme la frontière bien visible à l’écran de ce dernier rempart, la démarcation entre un cinéma et un autre établissait clairement l’ADN d’un septième art commercial et personnel, classique et novateur, un geste intérieur en quelque sorte. Illang est incontestablement de cette mouvance, de celle qui combine l’acte personnel et la commande. Là où les adeptes du « binge-watching » spécifique au streaming n’y verront (peut-être) qu’une énième proposition science-fictionnelle, le spectateur averti y reconnaîtra l’héritage d’une cinéphilie sincère et jubilatoire, convoquant tour à tour Mamoru Oshii (scénariste du Jin-Roh original), en passant par John McTiernan, John Woo, Scorsese, les ambiances nocturnes de Michael Mann, et se permettant même une approche à la Guillermo Del Toro lors de son utilisation d’une connaissance iconique universellement – presque inconsciemment – admise au sein du cadre. De nombreuses fois, on pense au manteau rouge qui offrait tout son sens à la scène de course poursuite entre un Kaiju et une enfant, dans Pacific Rim. Une démarche bien connue des admirateurs de Jee-Woon qui, déjà, dans les méandres labyrinthiques de A Bittersweet Life, chargeait de couleurs tranchées son cadre, en prêtant à celui-ci une résonance toute métaphysique.
Cette puissance métaphysique, Kim Jee-Woon la met dans son art au service d’un onirisme qui se joue tour à tour de ses personnages et de ses spectateurs. Ici, le désir de fuite des protagonistes n’est idéale que dans la rêverie, la hiérarchie des uns et des autres rappelant systématiquement aux personnages que leur besoin de liberté est incompatible avec les engagements idéologiques pris en temps de guerre. Plus dur sera la chute causée par le retour au monde réel ! Car c’est bel et bien un monde en guerre qui est décrit dans Illang: la brigade des loups. En suivant ces commandos spéciaux casqués, dont les uniformes vont à l’encontre des moindres velléités d’individualisme – et par extension de la moindre pensée déviante -, Jee-Woon met en scène un bras armé qui n’a que peu ou prou droit aux regrets des actions passées : c’est suite à une bavure conduisant au massacre d’enfants innocents que les membres de l’unité d’élite portent un casque identique pour tous. Chaque membre de cette brigade devient alors littéralement un loup, en cela qu’on lui demande de dévorer les égarés sans aucune forme de libre arbitre.
Du début à la fin, l’engagement envers une cause est au centre des préoccupations, comme un dogme dont tout acte visant à le bafouer serait sacrificiel. Cette obsession, elle était déjà à l’oeuvre dans A Bittersweet Life : la problématique de Sun Woo étant alors d’être loyal soit à son employeur, soit à l’être aimé. Ici, la loyauté des uns et des autres semble, de prime abord, se situer à la lisière d’une ligne manichéenne. Les bons et les mauvais. L’état et les rebelles. L’ordre et le chaos. La question soulevée par le long métrage est bien évidemment au-delà de cette binarité : que subsiste-t-il des individus, en tant que personnes, au milieu de ce chaos ? Tout se transforme petit à petit en jeu de dupes, en empruntant aux différents genres évoqués son univers propre avec une maestria déconcertante, sans que la cohérence globale du long métrage ne soit impactée. Film de guerre, polar, film d’espionnage où les traîtres sont à démasquer, film d’action… Les inspirations sont multiples, mais toujours au service d’une logique référentielle déférente.
Mais Illang: la brigade des loups est avant tout autre chose un conte. À plusieurs reprises, Le Petit Chaperon rouge est cité, nommé, paraphrasé. Mais comment, dès lors, affirmer que le film possède sa propre personnalité après une telle énumération ? Il est un fait communément admis que le classicisme hollywoodien, vers lequel lorgne le cinéaste, demeure attaché aux folies qui bordent les champs de bataille. Cette culture du western taraudait le cinéaste sur Le dernier rempart – on peut remonter bien en arrière, vers les années Raoul Walsh, par exemple, en se remémorant que le titre original de La Charge fantastique était They Died with Their Boots On. On peut penser, aussi, que la bataille de Sommerton Junction, c’était celle de Little Big Horn. Mais présentement, bien qu’extrêmement tournée vers le cinéma américain, le conte du sud-coréen revêtirait plus les apparats d’une fable sur le bien et le mal, plus particulièrement sur l’humanité et sa désincarnation. Cette fable, dans le cadre du remake de Jin-Roh, est mise en image avec la même logique que les contes pour enfants (de gentils enfants sont des victimes), mais avec la lucidité de ce que cela produit dans le monde des adultes (les morts ne se relèvent pas). Les protagonistes, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre de la ligne, agissent initialement par conviction ; une conviction qui leur est induite par un groupe, une masse, qui pense pour eux et leur demande d’agir. Comment, dès lors, est-il possible d’endosser la responsabilité (et la culpabilité que cela sous-entend) d’une action qu’on a commise en tant que bras armé, presque le prolongement physique d’une institution meurtrière ?
Kim Jee-Woon est réputé pour bâtir un cinéma perpétuellement en mouvement. Par ce biais, « le mouvement de la caméra relève […] du style ». Comme il le confie régulièrement lors d’entretiens, la caméra du cinéaste est un vecteur de sens à part entière… Cela peut paître évident, mais combien de réalisateurs contemporains pense intrinsèquement que « c’est comme cela que l’on arrive à montrer certains espaces à travers la caméra » ? C’était déjà le cas dans A Bittersweet Life, « dans lequel les scènes de combat accentuent le côté film noir ». Ce qui est sûr, c’est que Jee-Woon a un sens du découpage hallucinant, une propension à passer du contemplatif à la furie le temps d’un plan de coupe, de la love story à la fusillade façon Jasone Bourne d’un plan à un autre, entrecoupant par là même des mondes qui, dès le début, ne semblent pas fait pour cohabiter dans une seule et même bulle. On pense à la scène dantesque dans une immense tour tournée vers le ciel, une scène qui se termine par un saut dans le vide façon Die Hard. Une parenthèse sur un couple qui se forme et saute textuellement dans l’inconnu en plein milieu d’une fusillade : la référence est là, mais fait glisser en parfaite cohérence les enjeux de la séquence qu’elle convoque pour se la réapproprier au-delà de la simple intertextualité. Un moment de poésie qui, par quelques plans courts, expose des idées simples dont les fondations demeurent… le cadrage. Pour que la scène puisse exister, il faut que le dispositif nous ait exposé auparavant par « certains espaces à travers la caméra ». Des parenthèses contemplatives, telles que des discussions au devant de villes miroitantes (Michael Mann est, une fois de plus, une source d’inspiration à plusieurs reprises), par exemple.
Passé ce moment clé, rien n’est plus comme avant dans Illang: la brigade des loups. Il n’est dès lors plus question que de fuite en avant (initiée par une spectaculaire course-poursuite en voiture). Parce que se jeter dans le vide, c’est prendre la décision de s’affranchir, mais s’affranchir à quel prix ? S’affranchir du clan des loups, c’est s’exposer à un combat perdu d’avance contre la meute. Im Joong-kyung (excellent Dong-won Gang), c’est Ottway qui va combattre seul la horde dans Le territoire des loups, parce que peu importe la hiérarchie vers laquelle il se tourne, il est dorénavant un être de chair et de sang avec des sentiments. La problématique face aux penseurs – censés lui insuffler, au sens primaire du terme, ses idées – demeure que, dorénavant, le masque de la brigade n’est plus suffisant à ce que la face se voile, pour reprendre l’expression consacrée. Dans le film, l’expression est à prendre au premier degré en cela que les masques ornent les visages d’hommes ayant tué des enfants innocents !
Le monde des hommes, chez Jee-Woon, est une antilogie entre le bien et le mal. Une frontière qu’on ne souhaite pas franchir mais dont le passage paraît, parfois, dictée par… les tripes. Les yeux écarlates de ces brigades, c’est les nôtres, ceux des spectateurs. Droit dans les yeux de ceux-ci, le metteur en scène demandait déjà dans J’ai rencontré le Diable… et vous, que lui feriez vous à cet homme responsable de la mort de l’être aimé ? Le tout peut paraître ambiguë, mais la réponse aux questionnements soulevés est bien loin d’être prémâchée. Parce que dans cette brigade des loups, les policiers, les rebelles, les politiciens, les militants prêtent des serments de moralité qui n’ont plus aucun droit de cité lorsqu’ils se retrouvent seuls face à eux-même. Parce que les décadences annoncées que tous ces êtres cherchent à retarder le plus possible, sont en fait inéluctables. Ici, les yeux rouges des brigades ne sont qu’un prisme déformant du monde actuel. Et comme au septième art la question est toujours plus importante que la réponse… Reste au spectateur à se bâtir sa propre vision lorsque les masques tombent. De la science-fiction généreuse et habitée, comme on aimerait en voir plus souvent !