Au panthéon des séries marquantes de Netflix, Narcos s’impose sans conteste comme l’un des fleurons du genre. Lancée en 2015, la série signée Chris Brancato, Carlo Bernard et Doug Miro ne se contente pas de raconter la chute de Pablo Escobar : elle la met en scène avec une virtuosité qui convoque autant les codes du documentaire que ceux du thriller politique sous stéroïdes. Une réussite formelle et narrative à (re)voir en cette période estivale.
L’histoire : Loin d’un simple biopic de Pablo Escobar, la série hyper-réaliste Narcos explore en profondeur le monde violent des cartels et de la cocaïne en se basant sur des faits réels.
Notre avis : Dès son pilote, Narcos impose une esthétique affirmée : photographie léchée, plans aériens hypnotiques, transitions s’ornant des codes du documentaire… On pense immédiatement aux meilleurs crus visuels de Guillermo Navarro – ce n’est pas un hasard, le chef op’ fétiche de Del Toro réalise ici quelques épisodes. Si la voix off omniprésente rappelle furieusement un certain Scorsese (Les Affranchis, Casino), le procédé, risqué, finit par trouver sa propre légitimité : Narcos est une série consciente de ses influences, mais surtout capable de les digérer pour bâtir sa propre mythologie. Il est vrai qu’à première vue, certains choix déstabilisent. L’agent de la DEA Steve Murphy (Boyd Holbrook), narrateur et protagoniste, semble fade. Mais très vite, la série retourne cette faiblesse en force : ce personnage, d’abord transparent, devient le miroir du spectateur, l’œil impuissant face à une réalité qui le dépasse. Une transition brillante, symptomatique de l’intelligence de l’écriture.

Aux commandes de cette vision redoutablement efficace : José Padilha.
Le réalisateur brésilien, révélé par les Tropa de Elite (et bien moins inspiré sur son RoboCop hollywoodien, où il était pieds et poings liés), retrouve ici un terrain d’expression où son talent explose littéralement. Le traitement des décors naturels colombiens rappelle le Nouvel Hollywood de la plus belle eau, celui de Friedkin notamment, qui affirmait : « L’extérieur doit être une métaphore de nos paysages intérieurs. » Voilà exactement ce que propose Narcos : une plongée dans l’esprit d’un Escobar complexe et terrien, souverain d’un empire aussi réel que délirant. Chaque détail respire l’authenticité : mobilier, costumes, bagnoles, armes… Mais ce qui frappe le plus, c’est la manière dont la série fait de la reconstitution historique un moteur de tension dramatique. Les cliffhangers ? Tous basés sur des faits réels. Et si la vérité dépasse toujours la fiction, comme l’assure Mark Twain, alors Narcos en est la plus belle illustration.

Ce qui aurait pu n’être qu’un biopic boosté à la cocaïne devient donc une véritable méta-série.
Une réflexion passionnante sur le récit lui-même : comment représenter des événements largement médiatisés sans sombrer dans l’illustration sans aspérité ? La réponse se niche dans le montage. Les images d’archives sont intégrées avec finesse, servant autant la diégèse que le discours sur la représentation. Ce procédé, loin d’être gadget, ancre le show dans une double réalité, à la fois historique et fictionnelle. Et puis il y a les acteurs. Wagner Moura, évidemment, impérial en Escobar, aussi magnétique qu’effrayant. Pedro Pascal (Peña) et Maurice Compte (Carrillo) incarnent quant à eux la ligne de front du contre-pouvoir, dans une mascarade politique d’un cynisme absolu. Ici, la psychologie ne dicte rien. L’idéologie, encore moins. Seule l’action guide les pas : comment échapper à la DEA ? Comment neutraliser Escobar ? À cette logique implacable, Narcos répond avec une précision d’orfèvre. Pas de glorification ni de dénonciation caricaturale. La série pose les faits, interroge les rapports de force, refuse les jugements moraux faciles. Mieux : elle propose un modèle narratif inédit à l’échelle des séries mainstream. Et rien que pour ça, elle mérite sa place au panthéon des créations Netflix.
