Shadow Force — Carnahan à la croisée des flammes

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Dézingué par la critique américaine, boudé par un public qui a préféré les clowns fauchés aux espions en crise conjugale, Shadow Force a vécu un week-end d’ouverture douloureux (2,1 petits millions de dollars sur 2 170 écrans face aux 3,6 de Clown in a Cornfield). Un démarrage bien catastrophique pour ce qui devait être le retour en salle de Joe Carnahan et la (nouvelle) internationalisation musclée d’Omar Sy. Alors, faute de box-office, reste la vraie question : Shadow Force, ça vaut quoi en tant que film de Joe Carnahan ? La réponse courte ? Mitigé. La réponse longue ? C’est ci-après.

L’histoire : Un couple séparé dont la tête est mise à prix, doit s’enfuir avec leur fils pour éviter une milice qui a été envoyée pour les tuer.

Notre avis : Joe Carnahan, c’est ce cinéaste trop rare, à la fois bourrin et sensible, capable de passer du polar noir de chez noir (Narc) à l’action cartoonesque débridée (Mise à prix), jusqu’au survival métaphysique absolument sublime (Le Territoire des loups). Mais voilà : Hollywood l’a vite relégué au rang de franc-tireur malpoli. Le déclassement s’amorce avec Stretch (comédie d’action directement envoyée en VOD par Universal), suivi d’une parenthèse streaming pas honteuse – voire très bonne (Boss Level, Copshop)… avant ce Shadow Force, censé sonner le rappel en salles obscures. Visiblement, c’est loupé. Il faut dire que le projet, Carnahan ne l’a pas porté de bout en bout. À l’origine, Shadow Force est un script de Leon Chills, acheté en 2019 par Kerry Washington et Sterling K. Brown via leurs boîtes de production. Initialement confiée à Victoria Mahoney, la réalisation finit par atterrir sur le bureau de Carnahan — qui retouche le script et embarque tardivement dans l’aventure. Résultat : un film hybride, tiraillé entre deux visions, qui peine à faire cohabiter ses morceaux.

Sterling K. Brown était initialement prévu pour le rôle principal masculin, finalement joué par Omar Sy.
Sterling K. Brown était initialement prévu pour le rôle principal masculin

On a ainsi deux films en un. D’un côté, une cavale conjugale dans un monde d’agents secrets et de menaces géopolitiques ; de l’autre, une galerie de tueurs barrés qu’on croirait tout droit sortis de Mise à prix.

Sauf qu’ici, la mayonnaise ne prend pas. Là où Mise à prix transformait sa foire aux freaks en human-comedy survoltée (et quel film d’action !), Shadow Force se contente de poser des archétypes sans les incarner. Les tueurs sont stylés mais de simples figures cosmétiques. Les enjeux dramatiques sont posés mais jamais incarnés. Et l’intrigue techno-thriller — vue mille fois ailleurs — prend souvent le pas sur le reste alors qu’elle n’a finalement que peu d’intérêt !

Le site Movie Insider a par erreur crédité Kerry Washington comme scénariste du film Shadow Force... l'erreur a depuis été corrigée
Le site Movie Insider a par erreur crédité Kerry Washington comme scénariste du film… l’erreur a depuis été corrigée

Ce n’est pas que Carnahan a perdu la main : quand il cadre, il découpe magistralement…

… Il y a des fulgurances, ici et là ! Une fusillade bien nerveuse. Une scène en apesanteur émotionnelle où Omar Sy se fait caresser la nuque en reconnaissant un amour disparu. Et surtout, une séquence de poursuite sous un brouillard qui devient rouge sang, éclairée aux fusées de détresse : une réussite visuelle, tendue, élégante… jusqu’à ce qu’elle se termine abruptement, comme amputée de sa résolution. Fausse ellipse ? Scène manquante ? Problème de budget ? Mystère. Mais le genre de moment qui incarne le vrai souci du film : chaque réussite se voit contrebalancée par un accroc, une incohérence, un abandon. Et pourtant… il y a encore un peu de Carnahan dans ce fatras. Le sien. Celui qui croit aux (certains) personnages, au montage agité, au spectacle stylisé qui ne sacrifie pas – toujours – l’humain. Shadow Force n’est pas un bon film, mais c’est un film habité. Un film qui cherche des émotions derrière les postures. On est loin du schéma froid des actionners en pilote automatique qu’on enchaîne sur les plateformes. Ici, même l’échec a une gueule, un style, une tentative… et surtout, une personnalité. En 2025, c’est déjà beaucoup. Reste maintenant à savoir par quel prisme chaque spectateur choisira d’attaquer le spectacle.