Avec Silent Shot, Robin Entreinger ne fait pas que livrer un film. Il propose une expérience, une errance nocturne où la forme prime sur la fonction, où les néons ne brillent pas pour éclairer mais pour hanter. Œuvre courte, ramassée (à peine une heure), Silent Shot évite la logorrhée narrative pour mieux plonger dans un flux sensoriel presque hypnotique. À l’heure où le moindre film indépendant s’étire comme un monologue d’Iñárritu sous Lexomil, celui-ci choisit l’ellipse, la fulgurance, le silence. Et il le fait tellement bien !
L’histoire : Alex, DJ, vient tourner au Japon des clips musicaux. Elle se rapproche de Mia, son assistante japonaise. Cette histoire d’amour est stoppée nette quand le réalisateur des clips commence à mettre en scène Mia plutôt qu’Alex… Une jalousie s’installe et Alex sombre dans une folie paranoïaque.
Notre avis : Dès les premières minutes, un plan éthéré, une lumière crue, un score atmosphérique : impossible de ne pas penser à l’introduction de The Neon Demon. Comme Refn, Entreinger convoque l’esthétisme pour mieux invoquer une forme d’inquiétante étrangeté. Maniéré, diront certains. Maniériste, corrigeront les autres. La nuance est de taille.

Derrière les poses se cache une sincérité rare, celle d’un cinéaste qui filme l’obsession plus que l’intrigue.
L’ambition est claire : Silent Shot est un film hanté. Par ses personnages. Par ses références. Par cette frontière floue entre réalité et fiction que Robin Entreinger s’amuse à plier, recadrer, briser. C’est Mulholland Drive qui croise le spectre de Perfect Blue, à Tokyo, entre deux séquences de tournage méta et une ville-labyrinthique magnifiquement captée. Les cadres dans le cadre, les miroirs qui absorbent, les ruptures de ton : tout semble hurler que l’image est mensonge, et que la vérité ne se dira qu’en creux.

Silent Shot n’a rien d’un exercice de style vain. S’il cite, c’est pour bâtir. S’il emprunte, c’est pour mieux tracer sa route.
Dans la mégalopole aux allures de méandres urbaines, deux actrices errent, se cherchent, se filment, se désirent . Et c’est dans ce vertige — fiction contre fiction, identité contre reflet — que le film trouve sa chair. Car au fond, ce n’est pas (que) un long métrage sur le cinéma, mais sur ce que la création exige : l’abandon de soi, la fusion avec l’illusion. Porté par une bande-son aérienne, presque spectrale, Silent Shot ne cherche jamais à expliquer. Il préfère suggérer, imposer un climat, laisser le spectateur déborder. On pourrait parler de film sensoriel. De cauchemar et/ou de rêve éveillé. D’essai poétique. Peu importe. Silent Shot s’impose surtout comme une proposition forte, sincère et viscérale — une vraie vision d’auteur, qui préfère le ressenti au discours. Bref, du cinéma indé comme on l’aime chez DcPMag : habité, fiévreux, parfois exigeant, mais toujours fascinant !
