Michael Mann, le romantique 2.0

C’est l’amour avec un grand A qui unit Mann à ses admirateurs. Pour ma part, le coup de foudre remonte à l’ère des VHS et autres magnétoscopes, qui voyaient leur magie amplifiée par la collection des jaquettes fournies par les fameux Télé K7, ou Télé 7 Jours, pour ne citer qu’eux. Une époque bénie pour les trentenaires, qui étaient bien loin d’imaginer durant les 90’s que leur horizon compterait des termes aussi barbares que « binge-watching » ou « visionnage accéléré ». C’est précisément durant ces fameuses « 90’s » que j’ai imprimé sur une bande magnétique du Video Home System précité – merci France 2 – le légendaire Heat… 

Tu appuies sur la touche lecture de ta télécommande, un samedi après-midi pluvieux, et ton destin de cinéphile est scellé à tout jamais. Dans un coin de ta tête, tu sais que tu assistes à quelque chose de grand, de jamais vu, que tu défendras avec une fougue « corps et âme » ; mais ta jeune vie de spectateur ne te permet pas de poser des mots sur le pourquoi du comment. Tu viens de découvrir un film tièdement accueilli à l’époque… aujourd’hui considéré par les plus grands spécialistes tel un film «cathédrale». Expérience de pulsations chromatiques entrecoupée de moments réflexifs face au bleu « Mannien » – comme le rappelle Rocyrama, «le Bleu est presque désormais synonyme de Mann au cinéma» -, Heat est de ces chefs-d’œuvres qui racontent une histoire par l’image. Pour le dire autrement, on passe le temps de deux séquences d’une captation urbaine stellaire à une pose monochromatique profondément réflexive.  Un voyage éclair, en somme, comme ceux souhaités tel un ailleurs salvateur, mais qui ne restent à l’écran (fatalisme oblige) qu’utopie. Qu’on ne puisse poser des mots sur ce cinéma indubitablement sensitif, qu’on tombe en pâmoison lors de sa découverte, est en quelque sorte logique. Compliqué, de prime abord, de comprendre que cette claque que l’on vient de recevoir en plein visage est la résultante d’une minutieuse planification d’architecte filmique, parce que l’appréciation d’un Michael Mann ne s’explique pas, elle se vit. Et puis, après s’être forgé un regard à l’aune des considérations (entre autres) d’Alexandre Astruc et de sa caméra stylo, on comprend que rien n’existe comme un atome solitaire chez Mann. Comme dans le magnifique Collateral, des années plus tard, c’est une « coïncidence cosmique », la réunion d’atomes sur des millions, qui fait que la magie peut opérer. En un mot comme un cent, rien dans Heat ne fonctionne en autonomie : il faut, et c’est une liste non-exhaustive, la combinaison d’une mise en scène élégiaque, le sens hallucinant du récit, combiné à la réunion de deux acteurs de légende pour que la magie opère. Mais c’est aussi la rencontre des « atomes » Mann, De Niro et Pacino, à cet instant précis de leurs carrières respectives, qui fait que le long métrage demeurera à tout jamais une toile de maître indélébile dans l’histoire du cinéma américain. Une chose est sûre, après ce samedi après-midi pluvieux de ma jeunesse – poussé par mon père à qui je dois la naissance de ma passion -, un nom vint se hisser au sommet des listes parmi les listes dressées par ma cinéphilie : Mann. Cette grâce au milieu de la nuit de Los Angeles était la sienne sans commune mesure dans le septième-art. C’est lui, aussi, qui a imposé les nouveaux standards des films de braquage après y avoir apposé sa patte en 1995. Mann, encore, qui a révolutionné l’utilisation de l’intertextualité au cinéma, en faisant ressentir le spleen des merveilles de Colville… même à ceux qui ne connaissaient pas Colville. Mann « is the man », qui va capter au plus près ce que d’autres n’arriveront jamais à immortaliser en butant sur les impératifs techniques (il va jusqu’à inventer des caméras pour filmer au millimètre les acteurs et les combats du génial Ali). Pour paraphraser Jean-Baptiste Thoret, rien moins que « le plus grand metteur en scène en activité » !

Fort de 18 prix divers et variés ainsi que de 36 nominations parmi les nombreuses récompenses existantes au niveau mondial, Michael Mann n’aura – pour le moment – jamais été sacré par l’académie des Oscars. Mais peu importe. C’est finalement la reconnaissance de ses pairs (de Martin Scorsese en passant par Chirstopher Nolan) qui compte bien plus. Comme le rappelle l’excellent Dante Spinotti en évoquant l’un de ses collaborateurs les plus fidèles : « Michael Mann conduit toujours le langage cinématographique un pas en avant et d’autres le regardent et suivent. Ce n’est pas une surprise qu’il ait décidé de capter Public Enemies en haute définition. » Quelques mots qui résument à merveille le bonhomme, érudit, perfectionniste jusqu’à la maniaquerie, posant à chaque nouveau film les jalons du cinéma qu’il précède, tout en ayant la classe de l’introspection. Il n’est plus une surprise pour personne que Heat a été une source d’inspiration précieuse pour le Dark Knight d’un certain Nolan.

Photo de Frank Connor – © 2014 – Universal Pictures

Mais qu’est ce qui fait que la Michael Mann « touch » possède une telle superbe ? Qu’est ce qui explique sa tendance à repousser les limites et replacer les curseurs comme l’évoque Spinotti ? Ces problématiques ont déjà fait couler beaucoup d’encre, et nul doute que bon nombre de lignes restent à écrire. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Mann prend son temps, il choisit ses films, ses projets, il écrit – ou coécrit – presque tous ses longs métrages. On parle de lui comme du « perfectionniste le plus immodéré depuis Stanley Kubrick » et on ne l’a pas vu sur les grands écrans depuis le grisant Hacker, en 2015. Mais le réalisateur de légende est là, à scruter le monde et les coulisses du septième art (on pense à sa présence au Festival Lumière en 2017 pour présenter son non moins légendaire Heat) en attendant de trouver LE projet qu’il a envie de développer. Et puis il y a les allers-retours entre cinéma et TV – il va réaliser le pilote de la série Tokyo Vice -, les lettres adressées à ses confrères – il vient de rédiger une missive de félicitations à Todd The Joker Phillips… bref, une connexion permanente à son médium de prédilection.

Quel lien avec DcpMag, direz-vous ? Un simple rappel du fait que, pour vos fidèles serviteurs, 2020 sera l’année de Michael Mann : entre la mise à jour de l’ouvrage qui lui est consacré (Michael Mann : dernier héraut du métafilm hollywoodien) et la réalisation d’un reportage sur ce metteur en scène de génie, la « Révélation » prise de plein fouet il y a plus de 20 ans n’a pas fini de nous en faire voir de toutes les couleurs ! Comme qui dirait : restez à l’affût.

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