Dire que Tenet était annoncé comme la bouée de sauvetage des cinémas après des mois de fermeture quasi totale serait un euphémisme. Malheureusement, on sait aujourd’hui que le plan ne s’est pas déroulé sans accroc ! Certes, le film de Christopher Nolan représente le plus gros succès au box-office depuis des mois, mais il n’a malheureusement pas réussi à – littéralement – sauver l’industrie et à résister au poids (bien trop lourd) qui pesait sur ses épaules depuis longtemps. Une question simple subsiste et fait suite aux questionnements généraux de ces derniers temps : que va t-il se passer à présent ?
Il n’aura échappé à personne que les cinémas connaissent une période de disette qui a débuté aux alentours de la mi-mars, suite aux fermetures qui intervinrent dans une logique d’intérêt de santé publique. De fait, les grands films qui étaient sur le pont pour 2020 ont été décalé vers la fin d’année, dans le meilleur des cas, où ont débuté leur transhumance vers des pâturages (potentiellement) plus verts, à savoir 2021. Pourtant, Warner Bros. et Christopher Nolan – qui a visiblement mené une véritable bataille de l’ombre pour la sortie du film en août – semblaient catégoriques dès le début quant au maintien de Tenet en 2020. Nolan, fervent défenseur de l’expérience cinématographique en salle, n’imaginait pas d’autre vie possible pour sa nouvelle résiliation. Tout dans la campagne de promotion de Tenet laissait entendre que les équipes s’imaginaient tenir entre leurs mains la lueur d’espoir qui permettrait aux salles de cinéma de repartir du bon pied. Malheureusement, en dépit de chiffres « corrects », les choses ne se sont pas déroulées sous les meilleures auspices.
Au moment où sont rédigées les présentes lignes, Tenet a engrangé 207 millions de dollars dans le monde, dont 29,5 millions de dollars au box-office américain. Bien évidemment, c’est de (très) loin le plus gros score enregistré par un film depuis fin février/début mars. Ceci étant dit, plusieurs facteurs font relativiser ce score : Tenet fut mené à terme grâce à un budget de 200 millions de dollars, et il faut bien garder à l’esprit que Warner Bros. doit à présent débourser massivement pour la commercialisation internationale, qui plus est dans un contexte sanitaire inédit – et donc extrêmement coûteux. Au delà de ces considérations, il convient de rappeler que Christopher Nolan a négocié un accord unique lui permettant d’empocher une grande partie des gains découlant du box-office. Le fait est que le film est loin de générer les bénéfices attendus et, en outre, les chiffres susnommés ne correspondent absolument pas aux résultats des grands événements similaires dans une période « normale ».
À titre de comparaison, l’exploitation de La galerie des cœurs brisés, de Sony, a été lancée le week-end dernier et a rapporté un peu plus d’un million de dollars. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parlé d’un blockbuster, une production estampillée Selena Gomez aurait sans aucun doute dû attirer les foules. Force est de constater que les cinéphiles et le grand public ne ressentent pas le besoin de se précipiter dans les salles obscures. L’espoir était clairement que Tenet devienne le premier film incontournable des réouvertures. Du côté de Disney, ce sont Les Nouveaux mutants qui ont débarqué à la fin du mois d’août et, en dépit du fait que le film ne portait pas d’attentes financières particulières suite aux décalages de plusieurs années, le long métrage a rapporté un peu moins de 30 millions de dollars de par le monde… une catastrophe.
Tout cela ne fait que renforcer la gravité de la question qui brûle toutes les lèvres : que va-t-il se passer à présent ? Que vont faire les studios de leurs superproductions, prêtes pour l’exploitation, mais a priori appelées à mordre la poussière ? Que vont faire les exploitants si les studios continuent de retarder les sorties majeures, en ne laissant que des miettes en termes de programmation ? Malheureusement, il n’y a pas de réponses toutes faites… Juste quelques indicateurs de ce qui va se passer !
Warner Bros., pour le meilleur ou pour le pire, a au moins eu le courage de métamorphoser son Tenet en canari de mines de charbon. Quoi qu’il en soit, il fallait bien que l’un des studios soit le premier à prendre un risque en lançant l’exploitation d’un blockbuster en ces temps sans précédent. Factuellement, l’expérience est terminée et elle ne se solde malheureusement pas par un succès. Soucieux de ne pas subir un nouveau revers, le studio vient d’ailleurs de repousser son autre blockbuster « poule aux œufs d’or » (Wonder Woman 1984) à Noël. Sony, de son côté, vient d’indiquer qu’il ne sortirait pas de gros films « tant que les choses ne reviendraient pas à la normale ». Le fait est que l’offre alternative, qui symbolisait un large spectre de l’industrie cinématographique, façonne jour après jour sa nouvelle normalité : la VOD. Il suffit de voir à quel point les offres tarifaires explosent. Nul besoin d’être analyste pour prendre conscience du fait qu’il n’y a que les champions infaillibles du tiroir-caisse qui obtiennent les larges plages de sorties en salles et ce, au sein des cinémas qui, pour le moment, tiennent difficilement le coup.
À ce stade, il est difficile de savoir combien de chaînes résisteront à la tempête. AMC est déjà au bord du précipice depuis des mois. Les grands multiplexes fonctionnent à capacité réduite depuis la fin du confinement. Il reste, tristement, tout à fait plausible que d’autres grands noms de l’exploitation cinématographique ne se déclarent en faillite prochainement. Les chiffres de Tenet rappellent d’ailleurs qu’il n’y a aucune raison de croire que le retour à la normale est pour demain.
Juste après le revers de Tenet, Disney a lancé son Mulan sur plusieurs marchés internationaux, tout en le proposant aux abonnés Disney + pour 30 $ – avant de faire, semblerait-il, marche arrière quant à ces tarifs aberrants. Il est beaucoup trop tôt pour vérifier la rentabilité pour Disney, mais, pour rappel, la mise en ligne de Trolls World Tour est considérée comme une belle opération pour la VOD premium de Universal Pictures. Il faut s’attendre à voir apparaitre de nouvelles versions pour la VOD et le streaming, probablement avec des stratégies expérimentales : les studios et les cinémas ont besoin de revenus de toute urgence ! Pour ce faire, il va falloir qu’ils fassent preuve de créativité et qu’ils réinventent tout un système.
L’autre aspect plus ou moins passé sous silence demeure le manque de transparence quant aux revenus liés au box-office. Plusieurs rapports viennent de confirmer le fait que Warner Bros. ne fournissait pas les habituelles informations sur les revenus dégagés par l’exploitation de Tenet et il se murmure qu’ils ne partageraient pas plus les données avec les studios rivaux. Lesdits studios rivaux devraient ainsi s’engouffrer dans la brèche et adopter une attitude très secrète vis à vis des rapports relatifs au box-office (au moins pour un certain temps). De fait, le succès financier – ou l’échec – des prochaines grosses machines à venir risque d’être difficilement quantifiable.