En octobre prochain, le patron du néo-polar sous adrénaline, l’architecte de la nuit urbaine et de l’onirique désespoir, recevra enfin ce que Thierry Frémaux surnomme joliment le “Prix Nobel du cinéma”. Le Prix Lumière 2025 sera ainsi remis à Michael Mann, réalisateur mythique du Solitaire, de Heat, d’Ali ou encore de Miami Vice, soit autant de totems d’un cinéma tendu comme un câble à haute tension. À 82 ans, le maestro reste perché sur le toit du septième art, avec la même intensité que ses superbes héros solitaires… tournés vers l’horizon et mélancoliques.
Le “Prix Nobel du cinéma” — dixit Thierry Frémaux ‘himself’ — s’apprête à être remis à un véritable architecte du plan crépusculaire et noctambule : Michael Mann. Après Eastwood, Scorsese, Tarantino, Deneuve, Burton, Campion ou encore Huppert l’an dernier, c’est au tour du maître de Heat et de Collateral d’entrer dans la lumière. Ce Prix Lumière 2025 lui sera décerné en marge du grand rassemblement lyonnais dédié aux trésors du septième art, qui se tiendra du 11 au 19 octobre. Un hommage qui tombe à pic, alors que Heat fête ses 30 ans (souvenez-vous, Mann était déjà venu présenter la merveille sur place en 2017) et que l’impatience enfle autour de la suite. En un mot comme en cent, le feu n’est pas prêt de s’éteindre !

Précurseur d’une utilisation brute du numérique, Michael Mann électrifie l’image depuis Ali et son jogging nocturne.
Comment résumer l’œuvre d’un cinéaste aussi obsédé par la matière nocturne que Michael Mann en quelques mots ? L’auteur des présentes lignes, lui-même hanté par cette filmographie comme on peut l’être pour un poème entêtant, s’attèle à un ouvrage complet consacré au maestro. Mais en attendant la formalisation, comment, donc, synthétiser Mann en quelques fragments ? Essayons. Mann, c’est le cinéaste des espaces – urbains, maritimes, intimes – et des ténèbres traversées par des âmes solitaires. Les étoiles ? Elles se cherchent dans un ciel que seul Collateral (2004) sait délivrer en l’état — un firmament urbain, spectral, où Tom Cruise, fantôme argenté de Los Angeles, dérive lentement vers sa nuit éternelle. Mais avant lui, c’était De Niro dans Heat, foudroyé sous les lueurs de LAX. Avec Miami Vice (2006), sublimation saturée de sa série culte, Mann livrait un traité existentiel grimé en polar hightech. Public Enemies (2009), faux biopic et vrai western numérique, captait le crépuscule d’un monde au téléobjectif, comme vu à travers une caméra de surveillance contemporaine. Hacker (2015), son opus le plus incompris, synthétisait le chaos mondial en lignes de code. Enfin Ferrari (2023), funeste et fiévreux, chute sèche d’un projet de toute une vie. Chez Mann, les visages sont sculptés par la pénombre, et les balles fusent comme certaines sanctions tombent soudainement. Il filme les villes comme des êtres vivants et la nuit comme un état d’âme. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il soit né en 1943 dans Chicago — ville du béton et du crime.

Michael Mann honoré par le Prix Lumière : une consécration pour cet esthète du nihilisme !
Avant Heat, avant Collatéral, il y eut Le Solitaire (1981) — un diamant noir taillé à la perceuse, avec un James Caan incandescent. Premier long-métrage de Michael Mann après son téléfilm Comme un homme libre (1978), Thief — en VO — est déjà une œuvre de tension pure, désespérée, obsessionnelle comme son protagoniste. Mann y pose les bases d’un cinéma qui ne cessera de scruter les hommes au bord du gouffre, obsédés par une éthique du travail quasi mystique… les professionnels chez Mann seraient-ils ses alter egos ? Presque certain ! Régulièrement comparé à Melville (même s’il préfère puiser dans la vie réelle plutôt que dans le cinéma des autres), Mann affine une méthode qui fera école : rigueur documentaire, beauté formelle, et émotion contenue sous pression. La Forteresse noire (1983), film maudit s’il en est, annonce une tendance pour le mythe, avec un grand M. Avec Le Sixième Sens (Manhunter, 1986), il introduit pour la première fois Hannibal Lecter au cinéma et initie, à coups de néons et de cadres cliniques, un proto-Silence des Agneaux sous influence MTV. Le mal est là, tapi dans les cadres, dans les reflets, dans l’obsession et – voir l’introduction – dans les miroirs. Dans les années 90, Mann cartographie une Amérique fracturée à travers sa trilogie thématique : Le Dernier des Mohicans (1992) et sa fresque guerrière aux accents lyriques ; Heat (1995), duel mythique entre Al Pacino et Robert De Niro, est le portrait crépusculaire de deux professionnels consumés par leur art (La Horde sauvage inversée comme le dit Jean-Baptiste Thoret) ; et enfin Révélations (The Insider, 1999), chef-d’œuvre du cinéma d’enquête paranoïaque, où le numérique (les flux) commence à s’infiltrer dans la texture même du réel. Cette rétrospective Lumière 2025, hommage mérité à l’un des plus grands formalistes du septième art, sera l’occasion de redécouvrir sur grand écran cette filmographie au-delà du précieux. Une œuvre obsédée par les lignes de fuite et les horizons incertains : qu’il s’agisse du regard perdu de Dillinger dans Public Enemies, ou de la virée en bateau dans Miami Vice, chaque film de Mann regarde l’avenir comme des Mirages du contemporain — sublimes, inatteignables, fatals.