The Shield : chef-d’œuvre en état d’urgence

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Sept saisons. Pas un faux pas… Une leçon de mise en scène !

L’histoire : Pour rétablir l’ordre dans les secteurs les plus dangereux de Los Angeles, une brigade de police en arrive à mettre en œuvre des méthodes plutôt expéditives et inhabituelles.

Notre avis : 2002 : lancement de la saison 1. 2008 : conclusion avec la saison 7. En sept années, The Shield s’est imposée comme l’une des œuvres les plus importantes jamais produites pour le petit écran. Plus de vingt ans après, alors que les plateformes déversent quotidiennement leurs flots de fictions prétendument « irrévérencieuses», aucune ne semble capable de rivaliser avec cette série incendiaire signée Shawn Ryan. The Shield, c’est l’apocalypse du cop show, une anomalie sublime qui a redéfini les possibilités narratives et visuelles du médium télé. Dès le pilote, la claque. Réalisé par Clark Johnson, ce premier épisode pose les fondations d’une série qui emprunte au cinéma son langage, son rythme, sa densité. Tourné en 16mm, avec caméra à l’épaule et effets d’obturateur tranchés, The Shield joue la carte de l’immersion totale. On pense à Friedkin, à la Nouvelle Vague, aux classiques du polar seventies. Ce n’est pas un hasard : Friedkin lui-même citait la série comme une héritière directe des révolutions cinématographiques de son époque : « Si vous cherchez aujourd’hui une influence de la Nouvelle Vague en Amérique, il faudrait sans doute chercher du côté des séries télés qui ont mieux que les films traditionnels absorbé les leçons et les innovations de la Nouvelle Vague. Je pense à The Shield ou à The Wire par exemple. »

The Shield: Pour se glisser dans la peau de Vic Mackey, Michael Chiklis n’a pas seulement suivi un entraînement physique intensif : il a également appris l’espagnol afin de rendre son personnage encore plus crédible
Pour se glisser dans la peau de Vic Mackey, Michael Chiklis n’a pas seulement suivi un entraînement physique intensif : il a également appris l’espagnol afin de rendre son personnage encore plus crédible

A l’écran, tout sonne vrai.

Les acteurs ne jouent pas, ils sont. Des membres de gangs réels, des seconds rôles habités, une gestion du hors-champ digne des plus grands cinéastes. En s’affranchissant des standards télévisuels, Ryan et son équipe transforment chaque manque de moyens en choix esthétique. C’est brutal, organique, viscéral. Du cinéma-vérité à l’américaine, mais nourri d’une narration feuilletonesque millimétrée, jusqu’à une ultime saison d’une maîtrise absolue. Mackey : le flic, le mythe, la tragédie. Tout repose sur un homme : Vic Mackey. Tueur, ripou, manipulateur… et pourtant bouleversant. Il n’est pas le vecteur du système : il en est le produit. C’est parce qu’il vit dans un monde gangrené par le libéralisme, où chacun court après le pouvoir ou le profit, qu’il suscite l’empathie. Les ennemis de Mackey ? Des corrompus différemment, à l’hypocrisie plus lisse, à la morale variable. On retrouve ici une mise à nu politique déroutante, un portrait de l’Amérique post-11 septembre où l’ordre ne tient plus que par la compromission. Farmington, c’est Hollywood. Les deals, les alliances, les trahisons : tout s’échange sur l’autel du spectacle du pouvoir et du « show » (souvent politique).

The Shield a marqué l’histoire en devenant la toute première série câblée à remporter le Golden Globe de la meilleure série dramatique
The Shield a marqué l’histoire en devenant la toute première série câblée à remporter le Golden Globe de la meilleure série dramatique

Michael Chiklis, total.

Habitué aux seconds rôles, Chiklis transforme son corps et sa carrière. Il devient le moteur du projet, acteur, réalisateur, producteur. Il est Mackey. Son regard, sa présence, son énergie : tout transpire la vérité d’un homme englouti par ses choix. Il incarne une figure tragique digne d’un Pacino ou d’un De Niro : celle d’un homme qui, à force de franchir les lignes, se retrouve seul au centre de l’écran. Quand on le voit dans ce dernier plan glaçant de la série, face au vide, on comprend qu’on a assisté à quelque chose de rare : une véritable descente aux enfers. Une bombe. The Shield a essaimé. Sans elle, pas de End of Watch et consorts, pas de certaines audaces visuelles dans les polars hardboiled actuels. Et pourtant, elle reste inimitable. Par son audace de ton, son rythme, sa rage froide. Une série qui gratte l’âme humaine jusqu’à l’os, qui raconte la décadence d’un monde et l’effondrement moral d’un homme et son équipe. Chaque épisode est une étape, chaque décision a un poids, chaque silence a un sens. Chef-d’œuvre absolu ? Incontestablement. The Shield n’est pas qu’une série. C’est une expérience, une épreuve, une révélation. Sept saisons. Zéro concession. Cent pour cent de maîtrise. Un chef-d’œuvre précieux et indispensable !

The Shield

Une vidéo qui compile les extraits de presse dithyrambiques, rappelant que The Shield demeure, pour de nombreux critiques, l’un des plus grands polars dramatiques de l’histoire de la télévision