Ce titre à l’immédiate efficacité cacherait-il le documentaire ciné le plus précieux de 2025 ? Sans aucun doute.
Synopsis : En un peu plus de quatre décennies, l’Australien George Miller a livré dans cinq films sa vision violente (et vrombissante) d’un monde postapocalyptique. Retour en archives sur la genèse et l’évolution d’une furieuse saga culte.
Notre avis : Sur le papier, L’Apocalypse selon Mad Max ressemble au cahier des charges d’un documentaire TV dans la norme : analyse chronologique d’une saga culte, et retour sur plus de quarante ans de cinéma post-apo signé George Miller à la clé. Un énième docu classieux, mais sage ? Absolument pas ! Car ici, derrière la caméra et à la plume : Julien Dupuy. Et ce nom change beaucoup de choses. Déjà responsable du très réussi Stephen King : Le mal nécessaire, cette ancienne plume de Mad Movies, artisan d’un journalisme cinéphile forgé dans les fanzines, aujourd’hui figure centrale de Capture Mag aux côtés des excellents Stéphane Moïssakis, Rafik Djoumi et Yannick Dahan, vit le cinéma viscéralement. Et cet aspect se ressent à chaque plan de ce documentaire vrombissant, où la passion se mêle à la rigueur, l’analyse à la mise en scène. Oui, la mise en scène. Car Julien Dupuy ne se contente pas d’illustrer : il filme, compose, transforme certaines parties de ses réalisations en gestes esthétiques « bricolés » par ses soins. Des incrustations, des effets truqués sur de modestes plateaux installés à domicile. Ça pourrait paraître gadget. C’est en réalité une posture forte : la preuve qu’il pense l’image jusque dans sa forme, qu’il veut faire du cinéma, même quand il en parle.

Mais surtout, L’Apocalypse selon Mad Max est un documentaire qui a quelque chose à dire…
…Quelque chose à dire sur la saga de Miller, bien sûr, et sur son évolution esthétique, politique, humaine au fil des décennies qui ont vu naître cette série de films. Sur la place du cinéma de genre dans le discours critique, aussi. Et sur le mépris qu’essuie encore la pop culture dès qu’elle ose parler – comme Miller – avec ses tripes. À ce titre, la séquence consacrée aux critiques assassines du Mad Max original, confrontées à la trajectoire culte du film, est un modèle du genre. Un doigt d’honneur discret, élégant, mais implacable, qui fait écho à celui du premier interprète de Max. On voit en effet Gibson rire d’une question « débile », puis Miller parler de cinéma comme un ancien médecin (qu’il est) parle d’urgence vitale. Et le réalisateur de L’Apocalypse selon Mad Max, lui, assemble tout cela pour construire non seulement un objet documentaire solide, mais aussi une forme de plaidoyer pour une autre manière d’aimer, de défendre, de penser le septième art. Ce n’est pas un docu de fans pour les fans. C’est une déclaration d’amour à une œuvre dans son ensemble, à un auteur, à une forme de narration pure qui passe par l’image, par le montage, par le rythme. Fury Road n’avait pas de scénario classique ? Tant mieux : il avait un story-board hallucinant de précision comme manifeste.

Le manifeste, Julien Dupuy le prolonge durant les 52 minutes du programme.
Son documentaire ne cherche pas à excuser quoi que ce soit du côté rugueux du Mad Max originel : il le célèbre, le contextualise, et surtout, il l’assume via la reconnaissance de sa violence, de sa poésie et de sa furie graphique. Une élégie pour un cinéma à la pureté brute, qui, d’une certaine manière, est en train de s’éteindre. D’ailleurs, la dernière partie consacre une démonstration implacable : Fury Road, film sensoriel par essence, fut conçu comme une fresque picturale découpée image par image, à partir d’un storyboard colossal (réputée sans scénario). C’est la frénésie visuelle – cinétique – qui crée le récit. Comme le résumait à merveille Rafik Djoumi (complice de J. Dupuy chez Capture Mag) lors de la sortie du film : « Fury Road nous élève spirituellement parce qu’il a marié notre raison à nos émotions et nos pulsions profondes… le temps d’un absolu de ce que le cinéma peut proposer… une excellence dans l’exécution qu’on ne voit que tous les vingt ans. » Soit exactement l’inverse de ce qu’avaient vu nombre de critiques lors de la sortie du tout premier Mad Max, raillé comme œuvre putassière et irresponsable. Le documentaire revient sur ce paradoxe, le démonte et l’embrasse avec une élégance et une justesse rares. Et c’est là, en vérité, qu’il frappe le plus fort : en révélant que derrière chaque film de genre – réussi – existe une lutte, un engagement, une humanité trop souvent ignorées. Un combat que Julien Dupuy embrasse aussi pleinement, dans chaque choix d’archive, chaque moment créé par ses soins, chaque coup de projecteur sur une phrase, une déclaration, une idée trop hâtivement balayée par le passé. Les derniers mots du documentaire sont précieux, et résument à eux seuls la beauté de l’entreprise. Ils rappellent que le cinéma nous guide dans le tumulte du monde… à l’image des héros de Mad Max, dont la pulsion de vie est exaltée par chaque plan iconique les révélant. Au moment où sont rédigées ces lignes, le monde se souviendra des jours actuels comme de ceux où le président des États-Unis d’Amérique évoque son entrée en guerre comme une réussite militaire spectaculaire. Ce tumulte du monde contemporain n’est ainsi malheureusement plus à prouver. En ces temps incertains, célébrer la pureté primitive d’un art qui glorifie les mythes et raconte des histoires dans un langage universel n’est pas seulement salutaire : c’est un mal nécessaire, comme qui dirait ! Un moyen précieux pour nous, cinéphiles, de nous rattacher à des histoires d’hommes et de femmes que l’on a envie d’aimer, et d’ainsi rester connectés à l’humanité par notre médium de prédilection. Un grand documentaire. À voir, revoir, défendre. Sans modération !
L’Apocalypse selon Mad Max, c’est à voir sur Arte le 29 Juin, et disponible en VOD jusqu’au 26/9/2025.