Stephen Sommers… grand cinéaste ? Tâcheron ? Incontestablement entre les deux. Plutôt une sorte de faiseur hyper enthousiaste et passionné, qui compense son manque de génie inné – à la Carpenter, par exemple – par un appétit de cinéphage insatiable. De sa courte filmographie (d’aucuns diront qu’il a lui-même « flinguée »), on peut retenir sans ordre particulier plusieurs pièces qui ont, quoi qu’on en pense, marqué une frange de cinéphiles adorateurs de plaisirs coupables : un diptyque dédié à La Momie, un énorme gloubi-boulga souhaité film-somme nommé Van Helsing et, enfin, l’objet des présentes lignes… Un cri dans l’océan.
L’histoire : Finnegan, aventurier et mercenaire au long cours, sillonne la mer de Chine aux commandes du « Saipan », une vieille vedette qu’il loue fréquemment a des contrebandiers et petits trafiquants sans trop s’interroger sur les intentions de ses clients. C’est ainsi qu’une nuit Finnegan, son second et le mécanicien tombent aux mains de leurs passagers métamorphosés en un commando armé jusqu’aux dents. Leur but: investir, dévaliser et torpiller l’ »Argonautica », un luxueux paquebot croisant dans les environs.
Notre avis : L’arrivée de Star sur Disney + est l’occasion de se (re)plonger dans une offre qui représente probablement pour la firme aux grandes oreilles une façon de gonfler son catalogue, mais pour les cinéphiles en manque de propositions adaptées… c’est un lot de sucreries cinématographiques parfait pour les soirées bière/pizza/film du samedi soir. Aujourd’hui, nous revenons ainsi sur Un cri dans l’océan tout en saisissant au vol l’occasion de s’attaquer à un « gros morceau » que Monsieur M. Bobine a également choisi pour fêter sa 100ème analyse : Monsieur Sommers. De Sommers, il faut surtout retenir qu’il est (était) d’une engeance de metteurs en scène qu’Hollywood a progressivement réussi à mettre au placard pour que le cinéma puisse enfin devenir un contenu. Une réalité qui, si on se fait l’avocat du diable en adoptant le point de vue des studios, était un calcul judicieux : Un Cri dans l’océan a récolté 11 millions de dollars de recettes pour 45 millions de budget et, des années plus tard, Van Helsing coûtera la bagatelle de 160 millions de dollars… pour finir à un tout petit plus de 300 millions de dollars de recettes. Mais alors que l’évincement de ce type de réalisateurs était bienvenu pour les majors, c’est tout un pan de la cinéphilie qui se retrouvait soudainement orphelin et en manque de projets gargantuesques, dont la générosité rappelle un peu celle de John Hammond : « J’ai dépensé sans compter » ! Un Cri dans l’océan est absolument symptomatique de cette période, d’autant plus qu’il représente à merveille le cycle des films de monstres que Sommers bouclera, en apothéose, avec son best of Van Helsing. L’attrait du film qui nous intéresse ici-même, c’est qu’il est lui-même monstrueux et bicéphale : il convoque aussi bien le jeu vidéo que les grands classiques de la Hammer. Véritable boulimique de cette pop culture monstrueuse, Stephen Sommers adapte son scénario pour lequel il est l’unique crédit à l’écran (ce qui serait aujourd’hui une gageure sur un projet d’une telle ampleur). Le délire jusqu’auboutiste du créateur est à pointer du doigt dès la phase d’écriture, et confirme la notion développée ci-dessus quant à la générosité totale du bonhomme ; une générosité qu’il consacre entièrement à son public. Dans une interview accordée au site effets-speciaux.info, le papa de La Momie atteste de la véracité de l’anecdote selon laquelle “les techniciens d’ILM avait créé ce qu’ils appelaient « L’échelle Stephen Sommers de difficulté des effets visuels ». Elle était divisée en quatre niveaux : « Ce qui est nécessaire pour le plan », « Ce que les ordinateurs peuvent générer si on les pousse au maximum », « Oh mon dieu, les ordinateurs vont exploser ! » et finalement « Ce que veut Stephen. »” Sommers, fidèle à son ambition de créateur affable, gave son projet d’idées folles, en frôlant en permanence le trop-plein. Mais peu importe. Il crée avant l’heure un « Nathan Drake » cool qui se balade avec le shotgun en bandoulière (excepté qu’il a ici les traits de Treat Williams [sic]) et pose sa caméra le temps d’un plan d’ensemble au milieu d’une pièce inondée où l’héroïne doit trouver une clef et ainsi obtenir son droit de fuite (vous avez dit Resident Evil ?). Des séquences qui frisent l’assemblage de fanboy, mais qui, nonobstant la limite imposée par la technique, mettent en exergue la conscience qu’il se passe quelque chose entre les créatures du passé (une sorte de Kraken vernien), et le monde de demain (les jeux vidéo : le futur étant ici clairement convoqué par le côté high-tech et inédit du paquebot). Stephen Sommers réalise donc avec Un Cri dans l’océan une synthèse entre passé et présent, film d’aventure et film d’horreur, série B et blockbuster — et cette synthèse participe à la réussite du long métrage, mais aussi à ses limites. Là où d’aucuns auraient utilisé le luxueux paquebot comme vecteur d’une critique anticapitaliste, Sommers se concentre exclusivement sur les possibles visuels de sa série B luxueuse. Il mixe les grandiloquentes créations de Rob The Fog Bottin avec la pointe de la technologie d’ILM (à rebours, tout cela ressemble peu ou prou à un tas de pixels grossier, à une cinématique PS2). Certes, le résultat est parfois ridicule – nanar assumé ? -, mais trouve-t-on encore en 2021 des blockbusters qui savent faire la différence entre la visite régressive d’une fête foraine et les allées d’un supermarché ? À quelques exception près, nous n’en sommes (vraiment) pas convaincus…