Alors que le dernier bébé des écuries Pixar signe l’un des pires démarrages de l’histoire du studio (les cinémas ferment les uns après les autres à cause du Coronavirus), il est important de clamer dès aujourd’hui que le film sera probablement considéré, a posteriori, comme l’une des pépites de la bande à Lasseter.
L’histoire : Dans la banlieue d’un univers imaginaire, deux frères elfes se lancent dans une quête extraordinaire pour découvrir s’il reste encore un peu de magie dans le monde.
Notre avis : L’un des trios les plus marquants de chez Pixar reste pour beaucoup celui composé par Sully, Bob et Bouh dans Monstres & Cie . L’un des plus beaux, probablement, parce que c’est un trio dont les codes sociétaux du monde qui les entoure clament « vous n’avez rien à faire ensemble ». Un monde, même, qui incite ces joyeux lurons (pour ne pas dire leur ordonne) à ne jamais avoir d’interaction les uns avec les autres. Ils n’en feront bien évidemment qu’à leur tête en donnant, par là même, naissance à l’une des plus belles histoires d’amitié du Studio. Légitimement, on est en droit de se demander si le sujet de En avant fait basculer le projet dans la redite, voire, s’il fait naître la lassitude de son auditoire. Parce qu’en voulant faire cohabiter les univers de la fantasy avec notre époque, il serait aisément plausible de réitérer les schémas, de tomber dans une certaine zone de confort, ou pire… de se reposer sur ces lauriers. Mais c’est sans compter sur la propension de Pixar à faire évoluer ses créations en tenant compte de son ADN et de son histoire. Dès l’introduction -qui plante le contexte avec une science du montage et de la narration qui rappelle (toute proportion gardée) la magie du sublime Là-haut-, on sait que En avant part d’emblée pour atteindre les cimes de là-haut, tout là-haut.
En déroulant son monde fantasy dès l’introduction, comme tentait de le faire Bright (sic), En avant pose finalement des enjeux qui vont bien au-delà du concept crossover… Le film prouvant même par la suite -tout en menant pied au plancher ses grisants morceaux de bravoure- que le décorum en lui-même est presque un MacGuffin. L’amour filial, le souvenir des êtres disparus, la destinée, l’incomplétude (dans tous les sens du terme), la famille, sont autant de thèmes subtilement évoqués. Mais à aucun moment, et même lorsque les première lignes du générique apparaissent, l’auditoire n’a l’impression qu’on le prend par la main pour prêter l’oreille à un discours moralisateur. Dès la troisième partie du long métrage, il est clair que l’identification du spectateur est poussée à son paroxysme par une mise en abîme faisant apparaître un miroir dont le reflet est, au bas mot, bouleversant. Mais bien avant d’en arriver là, il est clair et limpide que la « Pixar Touch » ne saurait justifier à elle seule l’alchimie. Consciemment, ou inconsciemment, on sait que les chefs-d’oeuvre du studio ont toujours été la combinaison de l’esprit d’équipe à celui d’un maestro avec de la personnalité (pour ne citer qu’un exemple, on retiendra l’équation Pixar + Brad Bird = Les Indestructibles). Ici, c’est Dan Scanlon qui est aux commandes et, sans pouvoir affirmer que le bonhomme a la personnalité d’un Bird, il est important de rappeler qu’il est en quelque sorte l’un des noms qui compte dans l’ère qui fait suite à l’affaire Lasseter. Toy Story 4, Les Indestructibles 2, Coco, Vice Versa. Quatre réalisations d’envergure sur lesquelles Scanlon était l’une des têtes pensantes d’équipes artistiques primordiales. Dans des films comme À la poursuite de demain -pour ne pas évoquer toute sa filmographie-, la démarche du grand Brad (avec qui Scanlon a travaillé étroitement sur Les Indestructibles 2) est d’avancer masqué, tel un véritable contrebandier. Pour le dire clairement, Disney, dans le cadre de telles commandes, ne reçoit que peu l’essence du produit commandé lors de la confection du cahier des charges… Et c’est, encore une fois toute proportion gardée, ce qui se passe avec En avant. Il faut avoir avec quelle malice Scanlon s’amuse à littéralement « foutre » le feu à une échoppe digne des boutiques des Parcs Disney (on pense au détournement de la scène de la maison des poupées dans À la poursuite de demain). À partir de ce moment, le long métrage a en plus le bon goût de mettre en scène un duo féminin -sorte de Thelma et Louise– dont l’existence ne semble pas dictée par le post-it d’un costard-cravate qui aurait pensé, in extremis, « Il faut faire un geste, on est dans la période post-Weinstein. » Quel plaisir de voir avec quelle spontanéité naît la partie road-movie de Laurel Lightfoot et la Manticore ; une partie jubilatoire où Scanlon et ses équipes ne perdent jamais de vue l’évolution de ces personnages féminins clés.
En avant, quoi qu’il en soit, n’en oublie pas les obsessions « pixariennes » et on pense forcément beaucoup au magnifique Coco, pour la puissance thématique liée à la mort, d’une part, mais aussi et surtout pour sa facilité à nous émouvoir sincèrement -sans le cynisme ambiant à la mode-, d’autre part. Car c’est effectivement du lien entre le monde des morts et celui des vivants dont il est ici question : l’enjeu étant de rendre la quête initiatique moins importante que son objectif (un objectif pourtant douloureusement éphémère en-cela qu’il s’agit de retrouver un être disparu pour quelques minutes d’échanges). Mais au-delà de toutes ces qualités, c’est pour sa propension à questionner les fans d’univers féeriques -plus largement les geeks, les nerds, en un mot comme en cent les vrais passionnés- que le long métrage est d’une intégrité remarquable. En effet, c’est bel et bien une véritable inquiétude qui point lorsque les équipes découvrent que le monde de la magie s’est transformée en une énorme machinerie désincarnée dont le maître mot demeure : le commerce. Un peu comme le demande Spielberg dans Ready Player One, Scanlon questionne, sincèrement, quant à ce que l’on veut faire des mondes imaginaires offerts par le septième art… qui fait encore du cinéma. Ce qui est sûr, c’est que si Napoléon avait raison en affirmant « l’imagination gouverne le monde », on est clairement en train de perdre la guerre. Pour s’en rendre compte, il suffit de jeter un œil à l’industrie cinématographique de ces dernières années… Il faut donc garder à l’esprit que des films comme En avant sont précieux, très précieux !
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