Curieuse démarche, pour un site clamant l’inutilité de 70% du cinéma français, que de débuter ses critiques par la défense d’Hors normes, nouveau mètre étalon du cinoche populaire national appelé à remplir les salles par millions. Continuité formelle pour Toledano et Nakache sur le papier, Hors norme semble être le prolongement artistique qui animait – avec ses réussites et ses travers – Intouchables. À l’arrivée, si l’on veut paraphraser Thierry frémaux, il n’est pas interdit d’y voir une « œuvre ultra-contemporaine port[ant] une belle promesse d’avenir » !
L’histoire : Bruno et Malik vivent depuis 20 ans dans un monde à part, celui des enfants et adolescents autistes. Au sein de leurs deux associations respectives, ils forment des jeunes issus des quartiers difficiles pour encadrer ces cas qualifiés « d’hyper complexes ». Une alliance hors du commun pour des personnalités hors normes.
Notre avis : Après avoir vendu pas moins de 31.9 millions de billets à l’étranger, le duo d’Intouchables doit être sous le coup de l’habituelle pression : on les attend au tournant ! L’ironie de la chose, c’est que si les costards-cravates – notamment chez TF1, qui a financé le film – qui ont aligné les billets pour que le métrage voit le jour vont surveiller le tiroir-caisse, c’est plutôt du côté de la mise en scène qu’il faut se poser la véritable question : vont-ils nous refaire le coup de l’histoire vraie sur les mêmes rails que leur long métrage précédent ? La réponse est à la fois oui et non. Que les sarcasmes de la frange de l’establishment (ne jurant que par la véracité du cinéma des frères Dardenne) ait déjà pointé le bout de son nez n’est une surprise pour personne. Oui, Nakache et Toledano refont le coup des personnages réels dont les photos apparaissent lors du générique. Mais plutôt que de nier les faits, les comparses préfèrent confesser à nos confrères de Première que leur passif est une force : « On aurait fait Hors normes à nos débuts, son écho aurait été plus confidentiel ».
Cette fois, l’ambition du duo est moins de révolutionner son langage que de surfer sur des acquis qui ont fait leur preuve en termes de résonance et ce, afin d’offrir toutes ses chances à un sujet qui lui tient à cœur. Ce qui risque d’être compliqué pour « la critique qui pense » (comme aime la nommer Éric Libiot), c’est de nier la touchante sincérité du projet. Juste et authentique, Hors norme a le bon goût de ne jamais afficher sa propre importance comme le ferait le cinéma intello-réflexif – que d’aucuns rangent hâtivement dans des cases. Est-ce un film Art et Essai ? Ce simple questionnement n’est-il pas, quelque part, complètement suranné ? Car au final, la problématique qui devrait plutôt guider le jugement des intellectuels est le suivant : le point de départ, qui pourrait effectivement être celui d’une création originale de TF1, arrivera-t-il à se transcender – du point de vue du septième art – pour livrer autre chose qu’un téléfilm au casting deluxe ? À la croisée du cinéma social et de la comédie populaire, le nouveau chapitre des compères caresse bien évidemment dans le sens du poil le large public acquis à sa cause depuis le succès d’Intouchables. Mais comment le lui reprocher au vu du sujet traité ? Qu’est ce qui, de fait, va au delà d’une série correctement scénarisée, mais taillée pour le petit écran ?
En tête, il faut retenir l’excellence du duo formé par Cassel – qui n’a jamais été aussi juste – et Kateb… Car si l’excellence d’une performance ne saurait sauver du naufrage une réalisation sans envergure, celles délivrées par les deux comédiens sont ici tellement bluffantes, qu’elles sont à la fois le vecteur et la caution de l’humanisme (pur) de Toledano et Nakache. Mieux, cette combinaison insuffle au film un supplément d’âme qui suffit à lui seul à effacer les défauts inhérents au « made in » Toledano/Nakache. Et trouver, de nos jours en France, une réalisation qui sait capter son ère comme autre chose qu’un monde d’une autre galaxie – ou pire, comme en paraphrasant les lignes d’un programme politique dont le porte étendard aurait les traits de Christian Clavier – est déjà une gageure. Probablement, aussi, qu’on a envie de ne voir que les qualités de ce Hors normes parce qu’il est avant tout un long métrage lumineux, humaniste, habité par des personnages excellemment caractérisés qui défendent simplement des convictions avec une pointe de candeur. Peut-être que la candeur est ce qui manque généralement au cinéma français de nos jours. Pour une fois, on a envie de le serrer dans ses bras avec autant de cœur que Bruno Haroche et Malik lorsqu’ils rassurent leurs protégés. Serait-ça, la belle promesse d’avenir ? Quoi qu’il en soit, c’est une belle promesse d’aujourd’hui, et c’est déjà tellement…